«Il ne faut pas se raconter d’histoire, nous faisons un métier manuel… et nous rendons les gens heureux à table», Marc Haeberlin, Auberge de l’Ill (68).

Marc Haeberlin a commencé à donner un coup de main dans les cuisines de son père à l’âge de douze ans. Il nettoyait les légumes. Très jeune, il a été attiré en cuisine par les amis qu’il s’était fait parmi les apprentis, « qui avaient la chance d’avoir des posters de Salut les Copains» précise-t-il en souriant. Choisissant de devenir cuisinier, il a abandonné l’enseignement général après la troisième, pour intégrer une classe de seconde technologique en hôtellerie. Il a ensuite obtenu un BTS  à l’école hôtelière de Strasbourg, avant de travailler chez Paul Bocuse, chez Lasserre, puis chez les frères Troisgros. Il a aussi fait quelques stages chez Lenôtre.

Aujourd’hui, il est à la tête des cuisines familiales de l’Auberge de l’Ill. Nous lui avons demandé de nous parler de ses attentes de la formation actuelle en hôtellerie-restauration.

«En sortant de l’école, il faut bien sûr que les jeunes possèdent une bonne base de cuisine. Qu’il sachent faire des choses simples comme brider une volaille ou tourner les légumes. Mais surtout, il faut qu’ils soient curieux. Malheureusement, j’ai l’impression qu’ils manquent très souvent de bon sens. J’aime quand ils me posent des questions ou qu’ils prennent des photos. A mon époque, nous n’avions pas le droit. Aujourd’hui, c’est possible, et chez moi, c’est même recommandé.

Il ne faut pas se raconter d’histoire, nous faisons un métier manuel. Que ce soit dans un winstub (bar à vin typiquement alsacien) ou dans une bonne pizzeria, nous rendons les gens heureux à table, nous faisons partie des plaisirs de la vie. D’ailleurs, je crois que c’est là que les jeunes trouvent un intérêt à notre métier : pouvoir donner du plaisir.

Pourtant, c’est un métier dur, exigent, parfois humiliant, car le client ne nous pardonne rien. Il faut aller vite, se dépêcher en permanence.

Le mauvais côté des émissions de cuisine à la télévision, c’est de faire croire que l’on peut devenir célèbre en deux mois. C’est oublier un peu vite que la cuisine prend du temps et que l’apprentissage dure toute la vie. Pour beaucoup de gens, et pas forcément des cuisiniers, la cuisine est devenu une mine d’or.

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Michel Scheer évoque les spécificités des métiers de la salle, et la difficulté du recrutement actuel [document sonore]

Meilleur Ouvrier de France, retraité depuis quelques mois, Michel Scheer a été maître d’hôtel pendant 42 ans pour la maison Haeberlin. De retour sur ancien lieu de travail, il nous a accordé un entretien, publié ici.

Puis, après avoir donné quelques conseils et coups de mains pour mettre et repasser une nappe, discuté de la qualité d’un nouveau jeu de serviettes, il a longuement discuté avec ses anciens collègues, notamment, Stéphane Laruelle, et Grégor Frankl. Nous avons ouvert notre micro pour capturer leurs échanges …

Ensemble, ils évoquent le partage du savoir-faire et la difficulté à recruter aujourd’hui du personnel en salle :

Bonne écoute.
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NB : Ce document sonore est également à mettre en relation avec le témoignage d’Emilie, stagiaire en salle évoquée dans ce document, que nous avions interviewée ici.
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« Fileter les poissons, découper les volailles, c’est ça notre savoir-faire», Michel Scheer, Maître d’hôtel, MOF

Michel Scheer n’a connu qu’un seul employeur, la maison Haeberlin, où il est resté 42 ans. Il est entré à l’Auberge de l’Ill à 17 ans comme commis de salle après avoir passé un CAP cuisine et un CAP salle à l’école hôtelière de Strasbourg. A la retraite depuis quelques mois, il a bien voulu revenir sur son ancien lieu de travail pour nous faire partager sa vision des métiers de la salle.

«Mon père ne voulait pas que je rentre dans l’hôtellerie … Pourtant mon grand père avait un restaurant à Strasbourg ; c’est là que j’ai découvert l’univers de la restauration. J’ai finalement passé le concours d’entrée à l’école hôtelière de Strasbourg, où il n’y avait pas plus de 300 élèves. J’ai été reçu, j’allais pouvoir réaliser mon rêve.

Le directeur de l’école m’a envoyé ici, à l’Auberge de l’Ill. Il voulait que je redore le blason de notre école hôtelière à Illhersen. J’y suis resté, 42 ans.

Plus tard, c’est dans cette maison que j’ai pu préparer le concours de Meilleur Ouvrier de France, arts de la table et du service. J’ai accédé à ma première finale en 96 ; j’ai obtenu la distinction de MOF en 2000. C’est une satisfaction personnelle et une expérience enrichissante, où il faut reprendre les livres et se reconnecter avec le métier : connaître les boissons, les vins, le côté commercial, la gestion du personnel, les produits, la cuisine et savoir présenter tout cela …

Dans les métiers de la salle, il faut aimer le contact avec des gens de tous bords. C’est un métier qui peut être difficile, avec des contraintes d’horaires et de dates compliquées, mais nous pouvons donner du plaisir aux clients. Nous sommes le tampon entre la cuisine et la clientèle et pour cela, il faut beaucoup de philosophie. Il faut apprendre à percevoir les clients, leurs attentes, leurs profils ; c’est parfois le repas de leur vie. Certains ont économisé pour s’offrir ce luxe, et nous devons être là comme des passeurs.

Nous devons laisser tous nos problèmes à l’extérieur et offrir notre meilleur sourire pour respecter notre clientèle, et tout le personnel qui travaille avec vous.

Depuis que le service à l’assiette c’est généralisé au cours des années 70-80, 90% des restaurants sont gérés par les cuisiniers.

Je pense qu’il faudrait remettre le service en salle au cœur du métier : fileter les poissons, découper les volailles, c’est ça notre savoir-faire. Cela demande des qualités de rapidité, de précision, de dextérité, tout simplement pour que le client mange chaud. Je regrette par exemple qu’il n’y ait plus de voitures de tranche, elles permettaient un joli travail en salle ; les guéridons de desserte ont pris toute la place.

Mais notre métier, c’est aussi de savoir improviser suivant les circonstances, être capable de répondre à l’instant et aux impondérables.»

Dans le cadre du repas de gala clôturant la deuxième année de BTS au lycée Storck Michel a notamment en projet de faire réaliser aux élèves des découpes en salle, pour remettre à l’honneur ce savoir-faire du métier.

A venir : Un document sonore où Michel Scheer évoque avec ses anciens collègues les spécificités des métiers de la salle et la difficulté du recrutement actuel. Publication le 22/07.

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«Mes parents ont tout fait pour me dissuader», Emilie, stagiaire en salle chez Marc Haeberlin

Nous avons rencontré Emilie Schaffhauser, première année de BTS en alternance option B (arts de la table et du service) au lycée Storck. Elle est à l’heure actuelle en stage à l’Auberge de l’Ill à Illhaeusern. Elle nous fait partager son plaisir pour le métier de la salle, sa vision et ses attentes de sa formation. Tout au long de notre interview, Emilie a beaucoup ri, exprimant sa joie et sa passion pour son futur métier.

« Avant l’école hôtelière, j’ai fait une seconde générale. A cette époque, je ne savais pas trop ce que je voulais faire plus tard ; pour découvrir des métiers, j’ai fait de nombreux petits stages, histoire de voir.  J’ai ainsi fait un stage à l’hôtel Bristol à Colmar. Cela a été un véritable déclic, tout m’a plu : l’atmosphère, la cohésion, l’entraide, le travail d’équipe… J’ai aussi découvert que tout seul, on ne peut rien faire dans le service. Le travail en salle vous apprend sur vous-même, et aujourd’hui je ne me vois pas faire autre chose. Bien sûr, les horaires sont parfois compliqués à vivre, mais ça me plaît quand-même.

J’ai d’abord fait un CAP en alternance en salle, puis un Bac Pro, car mes résultats me le permettaient.

Pour mon CAP, j’ai fait un stage dans un hôtel. C’était la première fois, c’était dur, exigeant, mais c’était chouette.

Pour mon Bac, je suis allée au Château de l’Ile. Là aussi, c’était assez difficile, notamment parce que il y avait trois sortes de restauration : les banquets, séminaires et repas d’entreprises ; le winstub et le restaurant gastronomique. Mais justement, découvrir et travailler dans ces différents types de restauration, c’est ce qui m’a aidé pour faire un choix.

Aujourd’hui je suis en BTS, toujours en alternance et toujours en salle, sauf que j’ai aussi des cours de cuisine. Je n’avais jamais réellement cuisiné avant d’arriver au lycée. Marie Gired, mon professeur de cuisine, m’aide énormément. Elle est toujours derrière moi et avec elle, je peux vraiment parler. Elle est toujours de bonne humeur, et ne dénigre jamais ses élèves ; au contraire, elle nous pousse toujours vers le haut et nous dit toujours ce que l’on peut améliorer. Elle est toujours là pour nous guider.

Pour mon BTS, c’est moi qui ai choisi de postuler à l’Auberge de l’Ill de monsieur Heaberlin. J’ai envoyé une lettre de motivation que j’ai faite toute seule et trois jours plus tard, j’avais un entretien avec madame Baumann. Tout s’est fait en une semaine. Et le service du samedi suivant, j’ai fait mon essai.

J’étais vraiment aux anges ; en plus, c’était le premier avril. Je doutais de ma capacité à travailler dans un restaurant trois étoiles, mais ça a marché. Je ne m’attendais pas à que monsieur Haeberlin soit si simple et accueillant. Il me demande toujours si ça va.

Je suis en stage à l’auberge de l’Ill depuis août dernier. Mon emploi du temps est simple : école le lundi, le mardi et le mercredi matin ; je suis en congé le jeudi et vendredi midi ; enfin, je travaille à l’auberge le vendredi soir à partir de 18h45, jusqu’au dimanche 18H.

Le service, c’est rigoureux et très organisé. La communication avec le chef de rang ou le maître d’hôtel est indispensable. Il faut être aimable et très attentif aux besoins des clients et des collègues.

Au garde-manger et en pâtisserie, nous goûtons tout. Ça tombe bien, je suis très gourmande ! Mais c’est vrai, que j’aimerais pouvoir goûter le chaud plus souvent. Car bien connaître les plats, c’est ce qui permet de mieux en parler.

Mon rêve avant, c’était de voyager, mais aujourd’hui c’est peut-être de rester chez Haeberlin. Non, en fait c’est voyager et après revenir, ça c’est mon rêve. D’abord l’Angleterre, puis les Etats-Unis pour bien apprendre la langue, car c’est primordial dans notre métier. Et puis, là où le vent m’emmènera.

Mes parents ont tout fait pour me dissuader de faire ce métier (ma tante et ma cousine ont fait ce métier). Ils m’ont souvent répété que les horaires sont compliqués et que je n’aurais pas de vie de famille. Mais moi, je trouve que ce n’est jamais la même chose dans le travail, et je m’épanouis car je ne sais jamais de quoi ma journée sera faite. Ce sont des sensations toujours nouvelles.»

Nous avons aussi interviewé Marie Gired, la professeur que semble particulièrement apprécier Emilie :

«J’ai toujours été professeur de cuisine. J’ai d’abord fait un an comme prof stagiaire à Toulouse avant d’arriver au lycée Storck en 2003. Pour moi, apprendre des techniques de cuisine, ce n’est pas le coeur de mon métier. Je pense très sincèrement que je dois enseigner un savoir-être, un savoir-vivre, qui permettent de comprendre le respect du produit et le respect du travail en équipe comme de celui qui va manger. Ce qui me passionne, c’est le rapport avec les élèves (ndlr. elle dit plutôt « les gamins » ou « les loulous »). J’ai une vraie passion pour la cuisine et les gamins. J’ai plein de gamins qui n’aiment pas la cuisine, mais il y a un truc qui se passe : le plaisir. Je garde des contacts au minimum avec 3 à 4 élèves à chaque promo. Un petit mail, un petit coup de fil, certains, sont même devenus des amis.

Je demande beaucoup aux jeunes : ils doivent être ponctuels, propres, respectueux, polis, très soigneux, curieux … Et en échange, j’essaie de leur faire comprendre ce goût du travail et de l’effort. Je veux leur faire acquérir la fierté de bien faire.

Avec Emilie, nous avons fait des tartes de pâte sablée garnies de crème pâtissière et de fruits. Emilie m’a fait un truc très moyen. En fait, elle n’avait jamais fait de pâte sablée, ni  de crème pâtissière. J’avais deux solutions : lui dire « Emilie tu es nulle », sachant que j’avais fait des démonstrations avant ; ou essayer de comprendre avec elle pourquoi le résultat était si moyen. Emilie peut avoir des problèmes de confiance en elle qui se traduisent par des erreurs. Toute seule, elle a refait cette tarte à la maison, et elle l’a réussie. J’avais pris le temps de lui expliquer tous les détails techniques et de lui dire qu’il n’y avait aucune raison qu’elle n’y arrive pas.

Je prépare à tous les métiers de la restauration. Mais aujourd’hui, c’est compliqué. Les médias valorisent la cuisine gastronomique, que nous aimons tous, bien-sûr, et qui nous passionne ; mais cela dévalorise tout ce qu’il y a autour : les autres cuisines, familiale ou collective, cuisine de terroir, cuisine traditionnelle, toutes ces pratiques sont très peu valorisées. Et le service est réduit à l’image des porteurs d’assiettes…

Les élèves de seconde arrivent souvent en me disant : «Moi, je veux faire Top Chef». Je suis obligée de leur expliquer qu’avant, il faut maîtriser toutes les techniques de base. Ces émissions sont formidables parce qu’elles valorisent notre métier. Mais la cuisine n’est pas que gastronomique. Et un cuisinier sans maître d’hôtel n’est rien. Un restaurant, c’est une globalité.

J’ai la chance de faire un métier où mes élèves ont presque toujours le sourire pour venir en cours. Il y en a toujours un qui s’est trompé de voie, mais les autres sont tous motivés. Et mon rôle, c’est de leur donner les armes pour pouvoir s’épanouir dans leurs choix professionnels. »

Présentation de la nouvelle carte à la salle par Marc Haeberlin, L’Auberge de l’Ill [document sonore]

Vivre la Restauration tendra parfois son micro pour capturer des moments d’échange en cuisine. Une manière différente de découvrir le travail au restaurant. 

Lors de notre séjour à l’Auberge de l’Ill, en Alsace, Marc Haeberlin présentait la nouvelle carte à la salle …

Présentation et échanges pour débuter une nouvelle saison :