Denis Courtiade est directeur de restaurant, directeur de salle et maître d’hôtel au restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée. Nous sommes allés à sa rencontre pour qu’il nous retrace les grandes étapes qui l’ont conduit à ce haut niveau de responsabilité. Voici le récit de son parcours …
«Je trouve que maître d’hôtel définit bien ma fonction. Je suis très à l’aise avec ce mot qui incarne le terrain. Directeur de restaurant est une fonction plus administrative ; maître d’hôtel, c’est être face aux clients. Je suis fils d’hôtelier restaurateur et mon père m’a toujours laissé donner un coup de main à la plonge, préparer les garnitures ou les apéritifs. Ce que je préférais, c’était la pâtisserie. Je faisais des gâteaux l’après-midi que mon père vendait au restaurant le soir.
J’ai eu envie de vite partir de l’école. J’ai fait un CFA à Orléans pendant deux ans, en alternance. Pour mon stage, je souhaitais faire de la pâtisserie dans une cuisine de restaurant. A l’Auberge des Templiers, on m’a répondu qu’il n’y avait pas de place en cuisine, mais qu’il y en avait en salle.
Mon désir d’indépendance était si fort que j’ai accepté de travailler en salle. Là, je crois que je suis tombé sur les bonnes personnes. J’ai eu un mentor, Alain Francoz, qui m’a appris mon métier avec beaucoup de pédagogie. Il m’expliquait toujours le pourquoi du comment et me montrait l’exemple.
Je me rappelle d’une scène où je passais la serpillière dans un office avec un air dégouté. Lui est arrivé, il a retiré sa veste, il a mis de l’eau chaude et du savon dans un sceau et a nettoyé avec vigueur cet office. Je suis resté très bête à le voir nettoyer lui-même l’office de ce restaurant prestigieux. Il m’a simplement dit : «Denis, je pense que tu as compris».
Tout ce qu’il faisait, il me l’expliquait ; quand je commettais une grosse faute, il ne me punissait pas, il me montrait. Ce que je suis devenu, c’est surtout grâce à lui. L’exemplarité est essentielle dans nos métiers. Si vous avez un bon exemple vous ne pouvez que le suivre.
Après les Templiers, je suis parti à Londres, dans un vieux manoir, le Shoppenhangers Manor, où je suis devenu demi chef de rang, puis chef de rang. J’avais 18 ans, j’étais loin de mes parents. C’était dur mais j’y suis resté 14 mois avant de revenir en France pour faire mon service militaire au cercle des officiers à Versailles.
Ensuite, j’ai beaucoup voyagé : Mougins sur la Côte d’Azur, ; la Floride aux Etats-Unis où j’ai suivi une jeune fille charmante, fille de restaurateur ; Juan les Pins, juste après le passage de monsieur Ducasse; Meribel où j’ai fait l’ouverture de l’hôtel Allodis ; Cannes à l’hôtel Carlton …
C’est à cette époque que mon directeur m’a inscrit au Trophée Jacquard, que j’ai eu la chance de gagner juste devant une personne du Louis XV de Monaco. Le lendemain, le Louis XV me téléphonait pour un entretien, et le 26 décembre 1991, je débutais à Monaco chez monsieur Ducasse. Je suis passé rapidement numéro 2 du restaurant, j’avais 25 ans.
Je connaissais assez bien mon travail, mais de manière plutôt mécanique, et c’est dans cette maison qu’il m’a été demandé de réfléchir sur mes gestes, sur mes actes. Pendant trois ans j’ai vraiment pu affiner ma manière de voir et d’appréhender mon travail.
Le service est à 95% automatique : vous faites toujours les mêmes gestes. Mais, c’est en réfléchissant aux gestes que nous faisons que l’on y apporte de l’intérêt. Par exemple, on ne sert pas à droite ou à gauche, on ne sert que du bon côté. Il faut s’adapter à chaque fois, comprendre et sentir la table.
Pendant ma formation, j’étais souvent en opposition avec mes professeurs, car il est difficile de reproduire ce que l’on apprend à l’école dans la réalité du restaurant. Pourtant si on ne connait pas les bases, on n’est pas à même de réfléchir, et de peut être les détourner et tout compte fait, de faire autrement.