« Nos professeurs ont vraiment réussi à nous communiquer la passion des métiers du restaurant », Pier Marie Le Moigno, Chef pâtissier au Park Haytt, Paris (2/2)

Dans notre dernier article, nous vous présentions le parcours de Pier Marie Le Moigno, chef pâtissier au Park Hyatt Paris. Aujourd’hui, pour Vivre la Restauration, Pier Marie revient sur les personnes qui ont marqué  sa formation, et des qualités qu’il considère essentielles à développer pour devenir pâtissier.

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«En réalité, il y a beaucoup de rencontres qui ont marqué  mon apprentissage de la pâtisserie. Mais la source de tout cela commence vraiment dans mon école hôtelière, à Dinar. Je pense que nos professeurs ont vraiment réussi à nous communiquer la passion des métiers du restaurant. Cela, essentiellement lors des moments que nous partagions entre élèves, professeurs et professionnels.

Je me souviens en particulier de Monsieur Alain Bernard le chef des travaux du lycée, professionnel avant d’être enseignant. Il s’était présenté au MOF cuisine pour arriver finaliste, sans obtenir la consécration. Ce n’était pas une expérience qu’il étalait comme un fait d’arme mais bien une passion qu’il partageait avec les élèves qui lui semblaient motivés et intéressés par ces métiers. Il avait les mots et les gestes qui nous éveillaient à la compréhension de l’univers  des métiers de bouche. C’est tellement particulier que d’enseigner ces métiers !

Aujourd’hui, à chaque fois que je rencontre un nouveau stagiaire, un jeune en formation, je fais un bilan avec lui de ce qu’est et représente un métier dans la restauration. J’essaie de lui expliquer quelles dispositions il faut avoir dans ces métiers : la passion, la détermination, l’investissement personnel et la disponibilité.

Ce n’est peut être pas dans l’air du temps de dire cela, mais les métiers de la restauration demandent ces qualités, car nous avons la responsabilité de donner à manger – ce qui n’est pas rien dans la mesure où manger c’est faire confiance à celui qui prépare. L’investissement n’est pas que technique et financier pour le client : il doit avant tout accepter de mettre en bouche quelque chose préparé par quelqu’un qu’il ne connaît pas.

La meilleure manière de présenter ces métiers, c’est de parler de leurs réalités. Aujourd’hui, dans notre discours auprès des apprenants, il faut leur donner le moyen de prendre des distances avec la surmédiatisation des métiers du restaurant. C’est bien cette médiatisation qui apporte connaissances et reconnaissances, mais c’est parfois un peu de poudre aux yeux, bien éloignée de la réalité du travail.

Je crois qu’il est important de bien faire comprendre que l’on ne devient pas champion au bout de 10 émissions de télévision, car les métiers du restaurant demandent de se polir et de s’affiner par un cheminement parfois plus long.

Il est important pour un professionnel de se concentrer sur le premier aspect de son travail qui est de faire à manger, peu importe que ce soit de la pâtisserie ou de la cuisine. De mon côté, d’ici quelques mois, j’ouvrirai certainement ma pâtisserie en Bretagne.»

«Pour attaquer ce genre de formation, il faut être prêt dans son corps et dans sa tête», Pier Marie Le Moigno, Chef Pâtissier au Park Hyatt, Paris (1/2)

A 27 ans, Pier Marie Le Moigno est chef pâtissier au Park Hyatt Paris, où il travaille depuis 5 ans avec Jean-Francois Rouquette. Nous avons souhaité en savoir plus sur le parcours de ce jeune talent, et connaître l’origine de son orientation vers le métier de pâtissier de palace.

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« Au départ, ce n’était pas la pâtisserie qui me motivait, mais la gourmandise a toujours était mon vilain défaut ! C’est donc logiquement, et grâce à des rencontres, que je me suis orienté vers l’univers du sucré.

Cependant, je suis d’abord passé par une formation générale. Comme j’étais assez matheux, je me suis dit que ce serait utile pour mon parcours que je maitrise les données de gestion, pour peut être créer un jour mon entreprise. Et puis, je crois qu’après mon Brevet des Collèges, je n’avais pas la maturité suffisante pour me confronter à une formation professionnalisante dans les métiers de bouche. Pour attaquer ce genre de formation, il faut être prêt dans son corps et dans sa tête à faire face à des situations pas toujours faciles, surtout à 14/15 ans. C’est un milieu où l’on ne peut réussir que par passion. Il faut aussi savoir parfois patienter quelques années pour acquérir la maturité nécessaire à ces enseignements très adultes.

J’ai donc d’abord passé un Bac Comptabilité-Gestion avant de faire une année de mise à niveau et deux années de BTS Génie Culinaire au lycée hôtelier de Dinar, pendant lesquelles  j’ai surtout fait de la cuisine et de la pâtisserie.

Après ces trois années d’études, je suis venu à Paris où j’ai passé une année à l’école Ferrandi pour obtenir un diplôme connexe en pâtisserie. Là, on nous enseignait la pâtisserie classique française, destinée à figurer en boutique. Nous ne travaillions pas du tout le service à l’assiette propre au restaurant. Pour compléter ma formation, j’ai donc voulu travailler en alternance à l’hôtel Meurice, avec Camille Lesecq. Cette expérience m’a permis de découvrir l’aspect restaurant du métier de pâtissier, dans un palace.

La particularité du travail en palace, c’est la polyvalence. Savoir s’adapter à tous les types de clientèles : pour le soir, c’est un dessert à l’assiette avec un dressage minute ; le midi, c’est plus l’esprit boutique, avec des pâtisseries individuelles. Il y a aussi les banquets, avec des propositions de pâtisseries à manger debout, dans les contraintes de temps d’une clientèle pressée, et pour des groupes de 100 à 150 personnes. Enfin, les places proposent aussi la pâtisserie pour le room-service, où la clientèle, venue du monde entier, espère une bonne réactivité  et attend une pâtisserie simple mais maîtrisée. C’est une très bonne école pour apprendre le métier !

Parmi les étapes qui ont marqué mon parcours, je tiens également à citer un stage que j’ai pu mener auprès de Michel Guérard, grâce à l’aide de Jean-François Rouquette. Ce passage à Eugénie-les-Bains m’a permis de découvrir une maison enracinée dans son territoire, et d’avoir un contact  de passion, mû par une réelle volonté de partager.»

«On ne sert pas à droite ou à gauche, on ne sert que du bon côté», entretien avec Denis Courtiade, directeur du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée.

Denis Courtiade est directeur de restaurant, directeur de salle et maître d’hôtel au restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée. Nous sommes allés à sa rencontre pour qu’il nous retrace les grandes étapes qui l’ont conduit à ce haut niveau de responsabilité. Voici le récit de son parcours …

«Je trouve que maître d’hôtel définit bien ma fonction. Je suis très à l’aise avec ce mot qui incarne le terrain. Directeur de restaurant est une fonction plus administrative ; maître d’hôtel, c’est être face aux clients. Je suis fils d’hôtelier restaurateur et mon père m’a toujours laissé donner un coup de main à la plonge, préparer les garnitures ou les apéritifs. Ce que je préférais, c’était la pâtisserie. Je faisais des gâteaux l’après-midi que mon père vendait au restaurant le soir.

J’ai eu envie de vite partir de l’école. J’ai fait un CFA à Orléans pendant deux ans, en alternance. Pour mon stage, je souhaitais faire de la pâtisserie dans une cuisine de restaurant. A l’Auberge des Templiers, on m’a répondu qu’il n’y avait pas de place en cuisine, mais qu’il y en avait en salle.

Mon désir d’indépendance était si fort que j’ai accepté de travailler en salle. Là, je crois que je suis tombé sur les bonnes personnes. J’ai eu un mentor, Alain Francoz, qui m’a appris mon métier avec beaucoup de pédagogie. Il m’expliquait toujours le pourquoi du comment et me montrait l’exemple.

Je me rappelle d’une scène où je passais la serpillière dans un office avec un air dégouté. Lui est arrivé, il a retiré sa veste, il a mis de l’eau chaude et du savon dans un sceau et a nettoyé avec vigueur cet office. Je suis resté très bête à le voir nettoyer lui-même l’office de ce restaurant prestigieux. Il m’a simplement dit : «Denis, je pense que tu as compris».

Tout ce qu’il  faisait, il me l’expliquait ; quand je commettais une grosse faute, il ne me punissait pas, il me montrait. Ce que je suis devenu, c’est surtout grâce à lui. L’exemplarité est essentielle dans nos métiers. Si vous avez un bon exemple vous ne pouvez que le suivre.

Après les Templiers, je suis parti à Londres, dans un vieux manoir, le Shoppenhangers Manor, où je suis devenu demi chef de rang, puis chef de rang. J’avais 18 ans, j’étais loin de mes parents. C’était dur mais j’y suis resté 14 mois avant de revenir en France pour faire mon service militaire au cercle des officiers à Versailles.

Ensuite, j’ai beaucoup voyagé : Mougins sur la Côte d’Azur, ; la Floride aux Etats-Unis où j’ai suivi une jeune fille charmante, fille de restaurateur ; Juan les Pins, juste après le passage de monsieur Ducasse; Meribel où j’ai fait l’ouverture de l’hôtel Allodis ; Cannes à l’hôtel Carlton

C’est à cette époque que mon directeur m’a inscrit au Trophée Jacquard, que j’ai eu la chance de gagner juste devant une personne du Louis XV de Monaco. Le lendemain, le Louis XV me téléphonait pour un entretien, et le 26 décembre 1991, je débutais à Monaco chez monsieur Ducasse. Je suis passé rapidement numéro 2 du restaurant, j’avais 25 ans.

Je connaissais assez bien mon travail, mais de manière plutôt mécanique, et c’est dans cette maison qu’il m’a été demandé de réfléchir sur mes gestes, sur mes actes. Pendant trois ans j’ai vraiment pu affiner ma manière de voir et d’appréhender mon travail.

Le service est à 95% automatique : vous faites toujours les mêmes gestes. Mais, c’est en réfléchissant aux gestes que nous faisons que l’on y apporte de l’intérêt. Par exemple, on ne sert pas à droite ou à gauche, on ne sert que du bon côté. Il faut s’adapter à chaque fois, comprendre et sentir la table.

Pendant ma formation, j’étais souvent en opposition avec mes professeurs, car il est difficile de reproduire ce que l’on apprend à l’école dans la réalité du restaurant. Pourtant si on ne connait pas les bases, on n’est pas à même de réfléchir, et de peut être les détourner et tout compte fait, de faire autrement.

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A suivre : Dans un prochain entretien, à paraître cet été, Denis Courtiade nous confiera sa vision du métier, et nous parlera des spécificités de la salle dans un palace.