Réflexions sur la formation en hôtellerie-restauration après un an de rencontres : le rôle des émissions de TV, Eric Roux et Caroline Champion (1/2)

C’est il y a plus d’un an, le 12 mai 2012, que nous avons publié le premier article de Vivre la Restauration. Depuis, à travers 120 articles, nous avons essayé de vous faire partager les expériences de vie et de formation de nombreux élèves, enseignants et professionnels de l’hôtellerie-restauration. Comme le rappelle Régis Marcon dans la présentation de notre projet, notre but est toujours de « rassembler tous les acteurs, mobiliser toutes les énergies pour améliorer l’ensemble du parcours des jeunes : de l’orientation (« donner envie ») à la formation dans les centres (« donner confiance ») jusqu’au suivi en entreprise (« donner l’exemple ») ».

Tout au long de cette année, nous n’avons jamais parlé en notre nom, pour juger si telle ou telle chose était plus ou moins bien ; nous avons plutôt essayé de rendre compte, avec leurs mots, des expériences et cheminements des acteurs de l’univers de l’hôtellerie-restauration. Monde complexe et divers, l’hôtellerie-restauration regroupe de nombreux métiers, s’exerçant dans des structures et des entreprises tout aussi diverses. Que ce soit au travers des patrons ou des employés, dans la restauration rapide, collective, traditionnelle ou dite « gastronomique », nous avons voulu connaître et vous faire partager les évolutions de ce monde professionnel qui fait parfois rêver mais manque toujours autant de personnel. Plus de 70 000 postes vacants, tel est le chiffre souvent avancé pour rappeler que l’hôtellerie-restauration recrute et cherche à recruter encore davantage.

Sur la base de nos rencontres et de nos échanges, nous pouvons aujourd’hui émettre quelques hypothèses sur les raisons d’être optimistes ou inquiets pour l’avenir de la formation et des professions du secteur. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons une série de billets de synthèse. En aucun cas, nous ne voulons asséner des avis tranchés et péremptoires, mais plutôt mettre en lumière les points que nos nombreuses rencontres nous ont fait percevoir.

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Parmi les éléments qui reviennent souvent dans les propos des chefs comme des enseignants, il y a d’abord la place que la télévision occupe de plus en plus dans l’attrait  suscité par le métier de chef. Il y aurait bien des raisons de se réjouir à l’idée que les métiers de la cuisine soient devenues des « vedettes » de télévision, si le propos n’était pas nécessairement tronqué, ne montrant qu’une scénarisation du travail, sous-tendue parune dramaturgie purement télévisuelle.

La cuisine à la télévision est avant tout utilisée comme un objet, un décor destiné à filmer une certaine humanité. Le sujet de ces émissions est moins la cuisine que les relations, les tensions, les drames qui se nouent entre concurrents. Le décor de la cuisine pourrait très bien être remplacé par celui d’un concours de macramé ou d’une compétition entre jeunes chanteurs. Le propre de la télévision est de brûler les étapes, de concentrer le propos pour le réduire à sa forme la plus spectaculaire.

De ce point de vue, comme le remarque par exemple Laurent Pourcel, l’un des frères étoilés du Jardin des Sens à Montpellier : « la télévision, c’est bien parce que ça donne des vocations. Mais malheureusement cela fait aussi croire que l’on peut devenir chef en un an. En fait, il n’y en pas beaucoup qui réussissent. » (Lire l’article ici)

C’est aussi ce que rappellent les professeurs de cuisine, comme Pascal Muller, professeur  au CEFPPA Adrien Zeller à Illkirch-Graffenstaden, qui souligne que «  la cuisine du bac, ça n’a rien à voir avec les émissions de cuisine à la télévision. La cuisine du bac, ce sont des connaissances de base qui emmènent vers autre chose. Ce sont des fondations, à la différence de la télévision, qui pose le toit avant de construire les murs. » (Lire l’article ici).

Même un chef comme Yves Camdeborde, protagoniste d’une de ces émissions de télévision, reconnait l’ambiguïté à parler des métiers de la cuisine dans une émission, lorsqu’il constate que : « malheureusement, nous déformons la réalité, par nos activités à la TV ou sur n’importe quel média. Nous ne parlons que du bon coté, et nous oublions de parler de la longueur de l’apprentissage. Nous avons un vrai problème de message à destination des jeunes : non, ce n’est pas en faisant deux mois de télévision que l’on devient cuisinier.» (Lire l’article ici).

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D’ailleurs, un cuisinier doit-il forcément avoir vocation à être étoilé ? C’est la question que pose notamment Michel Mailhe, directeur de salle du restaurant la Chassagnette à Arles, lorsqu’il nous raconte : « Souvent, je demande aux élèves : « Pourquoi êtes-vous là ? » Ils me répondent en général : « Master Chef ». J’ai l’impression que nous nous tirons une balle dans le pied, les professeurs n’osant pas dire la vérité aux jeunes. Mais il faut bien comprendre qu’un Armand Arnal, il y en a un sur mille. C’est bien Master Chef, mais on n’apprend pas à être un chef en six semaines. Et surtout, tout le monde ne travaillera pas dans un restaurant gastronomique étoilé.»  (Lire l’article ici)

Faut-il rappeler, avec Régis Marcon, que « les médias parlent avant tout des restaurants gastronomiques. Or, ils ne sont que la partie émergée du monde de la restauration. Ils ne présentent qu’une infime partie de nos métiers, oubliant le monde de la restauration collective, rapide et surtout  l’univers du service et de la salle… »  ? (Lire l’article ici)

Pourtant, au même moment, le monde de l’hôtellerie-restauration s’accorde sur le côté positif de ces « radios-crochets », de ces « reality-show » de la cuisine, qui est de valoriser le métier de cuisinier. De plus en plus de jeunes s’orientent aujourd’hui vers ce secteur, avec l’accord de leurs parents, jusque-là plus enclins à les voir choisir des professions type médecin, avocat ou architecte.

Alors, doit-on finalement en appeler à une émission de cuisine dédiée aux métiers de la salle pour améliorer l’image des professions du service et de l’accueil, totalement occultées dans les programmes actuels, et pourtant si essentielles dans le travail du restaurant ?

Caroline Champion et Eric Roux

Illustrations : Alexandre Bourdas, extrait de « La journée type d’un cuisiner »
(Rapport de stage à lire ici).

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A suivre :
Réflexions sur la formation en hôtellerie-restauration après un an de rencontres (2/2).

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« Ça me plaît et je m’accroche », Cécile Caharel, CAP Cuisine post Bac à l’École Ferrandi, en alternance au Georges V, Paris.

Cécile Caharel est en CAP Cuisine post-Bac à l’école Ferrandi. Nous l’avons rencontrée lors d’une soirée organisée en soutien à l’école hôtelière cambodgienne de Sala Bai (1). Nous lui avons demandé nous parler de son cursus en hôtellerie-restauration, entamé après une solide formation générale.

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« J’ai toujours adoré la cuisine. Toute petite, j’ai des souvenirs de ma mère qui cuisinait beaucoup. Ma grand-mère, que j’ai malheureusement peu connue, était elle-même restauratrice. Après un bac général, j’ai décidé de partir en Australie pour faire une année en Food Technology. Revenue en France, j’ai envoyé mon dossier dans plusieurs écoles pour une formation au CAP post-Bac. J’ai été prise à l’école Ferrandi, pour préparer mon CAP en un an, en alternance.

J’ai postulée au Georges V. J’ai passé trois entretiens, qui ont été déterminants : d’abord avec le responsable des relations humaines, puis avec le Chef Alain Davy, et enfin avec le directeur de la restauration. Je parle couramment anglais, ce qui a certainement joué en ma faveur. Plus de la moitié de la brigade est anglophone, les employés viennent de partout dans le monde.

Mon emploi du temps se répartit entre deux structures : j’alterne deux semaines d’école et deux semaines en entreprise. Je passe mon CAP en juin prochain mais je vais travailler jusqu’à fin août en entreprise. Si j’ai une remarque à formuler, c’est que le matériel que l’on nous propose d’acheter pour faire notre CAP n’est pas idéal [sic !].

Pour travailler en cuisine, il faut être vraiment motivé, ne pas être dans le doute. Ce n’est pas facile tous les jours, mais ça me plaît et je m’accroche. J’achète beaucoup de livres de recette, surtout des livres de pâtisserie, pour apprendre autre chose que la cuisine. Je m’intéresse aussi beaucoup à la sommellerie. De façon générale, ce qui me plaît ici, c’est le détail, le perfectionnisme. En tant que fille, je n’ai pas trouvé ça spécialement difficile, mais il faut avoir du caractère.

Je ne sais pas ce que je ferai après, peut-être une formation en pâtisserie ou sommellerie. Je veux acquérir un maximum de connaissances, tant en cuisine qu’en pâtisserie et en sommellerie. Ensuite, dans l’idéal, j’aimerais créer ma propre entreprise, soit un traiteur, soit un petit restaurant, avec 30 couverts maximum, et une petite équipe. Pourquoi pas à l’étranger.

Pour moi, en cuisine, le plus important, c’est vraiment le goût, même si en ce moment, je constate que c’est surtout la forme qui est mise en avant.»

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NOTES

(1) Vivre la Restauration vous conseille vivement de visiter le site de l’école hôtelière de Sala Bai, expérience innovante dans un pays en plein développement touristique, soutenue par des chefs de cuisine français, dont Régis Marcon.

Créée en 2002 par l’ONG française Agir pour le Cambodge, Sala Baï est basée à Siem Reap, au Cambodge, à quelques kilomètres du site archéologique d’Angkor. Chaque année, l’école accueille gratuitement 100 jeunes défavorisés pour les former à quatre métiers de l’Hôtellerie-Restauration : cuisinier, serveur/serveuse de restaurant, réceptionniste et femme/valet de chambre.

Pendant 12 mois, l’école prend en charge l’intégralité des frais de scolarité (formation, fournitures, manuels, uniformes), mais aussi tous les frais de vie des étudiants (logement, nourriture, vélo, assurance et frais médicaux). La formation dure 11 mois, de septembre à juillet ; le 12ème mois, août, est dédié à l’aide à la recherche et au placement en premier emploi.

« L’apprentissage est le moyen de faire un homme libre», Thierry Marx, Sur Mesure, Paris.

Thierry Marx est aujourd’hui à la tête du Sur Mesure au Mandarin Oriental à Paris. Il est aussi connu du grand public pour sa participation à l’émission «Top Chef» sur M6. Il a créé  en collaboration avec la mairie du vingtième arrondissement à Paris un centre de formation aux métiers de la restauration, « Cuisine mode d’emploi(s) » et un atelier de cuisine nomade à Blanquefort dans la banlieue de Bordeaux. Vivrelarestauration lui a demandé de nous parler de la formation en hôtellerie-restauration.

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«J’ai commencé en pâtisserie chez les Compagnons du Devoir. J’ai fait mon tour de France. Chez les compagnons, nous préparons un CAP avec, bien sûr, passage en CFA et sanction de l’examen, mais chacun doit avoir travaillé dans sept villes pour rencontrer différents employeurs. Un compagnon en formation passe par différents niveaux : sociétaire, aspirant et compagnon. Il conclut son parcours par la présentation d’un chef d’oeuvre. Pour moi qui sortait d’un quartier assez difficile, j’y ai trouvé un cadre sérieux et épanouissant. Dans le compagnonnage, la transmission se fait plus d’homme à homme que par les livres.

Ensuite, j’ai ressenti un besoin de culture générale. J’ai donc préparé le certificat des collèges au lycée Hélène Boucher, dans le 20ème arrondissement de Paris. Ensuite, j’ai  étudié au cours du soir pour avoir mon bac, que j’ai passé à 24 ans. Je crois d’ailleurs que la culture générale et l’apprentissage de fondamentaux sont indispensables à une éducation de base.

Dans nos métiers de l’hôtellerie-restauration, je pense qu’aujourd’hui les enseignants n’ont pas le niveau pour enseigner. Ils enseignent ce qu’ils ont imaginé et non pas ce qu’ils ont vécu. Le problème, c’est que tout le monde, professionnels, enseignants, responsables des filières est campé sur un quand-à-soit qui les empêche de croiser leurs regards et surtout de mettre le doigt sur les vrais problèmes. Ce qui était légitime il y a 50 ans l’est-il toujours aujourd’hui ? Est-ce que 2 ans, ce n’est pas trop long pour apprendre les bases du métier ? Personnellement, je pense que c’est beaucoup trop long. Est-il honnête qu’un apprenti soit payé environ 400 euros par mois ? Ce genre de salaire n’est pas suffisant pour s’extraire de sa condition sociale, si les parents ne sont pas derrière économiquement. L’apprentissage est le moyen de faire un homme libre et non un homme fabriqué pour les attentes des grands groupes.

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«Nous avons créé un concept très inspiré de nos voyages en Allemagne», Gerhard Weber, créateur de Stube, Paris

Avec sa femme, Sylvie, Gerhard Weber a créé un concept de restauration rapide  allemande, le Stube, qui compte déjà trois adresses à Paris. Nous avons souhaité le rencontrer pour en savoir plus sur son parcours et sur ce concept de snacking de qualité, utilisant  exclusivement des produits frais pour offrir aux clients les toutes saveurs de la tradition allemande.

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«Je suis né boulanger. Ma première formation, je l’ai reçue au fournil de mon père à Sachsenberg. Pour continuer dans cette voie, j’ai fait une formation en alternance chez un confrère de mon père, dans la ville de Korbach. C’était une boulangerie très petits pains, comme il y en a beaucoup en Allemagne. Ce fut une expérience passionnante, mais une formation à la dure, à l’allemande. Ensuite, je suis parti vivre à Bonn, où j’ai travaillé dans une très belle boulangerie, sur la place du marché Muller-Langhard. Cette boulangerie, dans la plus pure tradition allemande, existe toujours.

J’ai continué en travaillant un peu à droite et à gauche ; la dernière étape importante de mon apprentissage, je l’ai passée dans la pâtisserie Bittner à Dusseldorf. C’était une très grande pâtisserie, vieille de plusieurs générations, avec une production à échelle semi-industrielle, tout en n’utilisant que des recettes artisanales. Tout était naturel et frais du jour. J’ai ainsi découvert comment des moyens techniques, des process de fabrication modernes, pouvaient permettre de sortir de très gros volumes, sans émulsifiants ni surgélation.

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RDV le 15 avril 2013 pour les Assises de l’Alternance de l’Hôtellerie Restauration : inscription et programme en ligne !

invitation assises VLR

Je veux participer aux Assises et m’inscris gratuitement en ligne !

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