« Je ne crois pas trop à l’inné, au type super doué, qui sait déjà tout : il faut acquérir son métier et pour cela, apprendre et travailler », Gérard Bossé, Restaurant Une Île, Angers (2/3).

Dans notre dernier article, nous vous présentions les premières étapes de la formation de Gérard Bossé, au parcours atypique : après un Bac en Philosophie, des études universitaires et une expérience de travailleur social, c’est à l’âge de 28 ans qu’il a suivi une formation pour adulte en cuisine, avant d’ouvrir avec son épouse, Catherine, un premier restaurant, Les Tonnelles, à Behuard près d’Angers. C’est là qu’en 2005, ils seront récompensés par une étoile au guide Michelin et trois toques au guide Gault & Millau.

Nous avons demandé à Gérard Bossé, désormais à la tête du restaurant Une Île à Angers,  quelles étaient les personnes qui l’avaient marqué dans sa formation de cuisinier.

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« J’ai toujours été gourmand, j’ai toujours adoré faire la cuisine. Mais il y a une différence entre faire à manger pour des amis et vouloir cuisiner en professionnel. Cela passe bien évidemment par une formation. Or là, j’ai eu une chance inouïe.

J’ai été formé par Marc Foucher, Meilleur Ouvrier de France en cuisine, qui a été mon professeur au CEPHOR, le Centre de Formation pour adultes où j’ai appris le métier. C’était sa première année de professeur et il avait tout à donner. Il s’est occupé de nous à fond. Il était d’accord pour que nous revenions l’après midi faire des travaux pratiques, de la technique, même si nous étions normalement dispensés, ayant suivi une formation générale.

Très vite il m’a fallut lancer un petit restaurant, j’avais des enfants à nourrir, il fallait travailler. Mais j’ai continué à me former en suivant des stages chez des professionnels reconnus. Je suis notamment allé chez Jean Bardet à Tours, et chez Jacky Dallais, au restaurant la Promenade du Petit Pressigny, qui avait une étoile au guide Michelin depuis 26 ans. Cette expérience m’a réellement marqué.

Là, j’ai vu ce qu’était une brigade et moi qui travaillais encore un peu en amateur, j’ai compris l’importance d’une équipe en cuisine. Ce n’est pas la hiérarchie qui vous donne de la compétence, c’est la possibilité de travailler correctement avec toutes les personnes qui sont en cuisine.

Il y a eu aussi un autre stage déterminant pour moi, en pâtisserie cette fois, à l’école Bellouet, à Paris. Ce sont deux Meilleurs Ouvriers de France qui dirigent cette école ; cela a été pour moi un vrai déclencheur en pâtisserie. Je ne crois pas trop à l’inné, au type super doué, qui sait déjà tout : il faut acquérir son métier et pour cela, apprendre et travailler.»

A suivre :
– « En cuisine, on ne travaille jamais chacun dans son coin », Gérard Bossé nous parle de son expérience dans l’accueil des jeunes en formation (3/4)
– « Chaque jour, il faut être capable de mettre en route la concentration maximum », Gérard Bossé nous parle des difficultés de l’enseignement du métier de cuisinier (4/4).

«On ne demande pas à un cuisinier d’être un animateur de show», Jean-François Girardin, Société des Meilleurs Ouvriers de France (3/3)

Jean-François Girardin a été pendant 32 ans chef de cuisine à l’hôtel Ritz de Paris, aux côtés de Guy Legay, puis de Michel Roth. Il consacre aujourd’hui son temps aux concours du Meilleur Ouvrier de France et du Meilleur Apprenti de France. Après vous avoir présenté son parcours de compagnon, et avoir échangé avec lui sur le titre de MOF, nous avons souhaité connaître son point de vue sur le travail qu’il exerce auprès des jeunes apprentis et des chefs candidats au titre de Meilleur Ouvrier de France.

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«Pour commencer, je voudrais parler du travail en salle, car c’est une profession très importante, et qui n’est pas assez valorisée à mon sens. Un MOF maître d’hôtel est à même de proposer un style de travail qui est un vrai plus pour un restaurant. Il ne faut pas oublier toute l’importance de la salle pour parler des produits et réaliser des préparations en salle qui font partie intégrante de notre culture du restaurant. Les métiers de la salle doivent être à tout prix mis en avant. C’est indispensable pour la qualité de la restauration française.

Il ne faut pas oublier non plus les Meilleurs Apprentis de France, qui existent en cuisine depuis 12 ans. Un jour, ces MAF seront peut-être un vivier de candidats bien formés pour le concours des MOF. D’ici 3 à 4 ans, nous aurons beaucoup de meilleurs apprentis qui arriveront au niveau des MOF. En tout cas, je le souhaite.

Le métier de cuisinier est régulé par le respect nécessaire et indispensable qui doit exister entre les membres d’une brigade. Dire bonjour, dire au revoir, être bien habillé sont des données simples mais essentielles dans une vie en brigade. Elles font parties de l’éducation générale indispensable pour un cuisinier. Le travail du cuisinier est un travail dur, avec beaucoup de tension ; il est donc indispensable qu’un fort respect règne en cuisine. Si notre métier est dur, moralement et physiquement, cela ne veut en aucun cas dire qu’un chef doit maltraiter, bousculer au sein de sa brigade. Je pense d’ailleurs que ceux qui font ça, un jour, n’auront plus personne avec eux.

J’ajouterai une dernière chose, à propos des émissions dites « de cuisine », qui ont pris beaucoup de place aujourd’hui. Grâce à elles, nous voyons beaucoup de jeunes s’orienter vers le métier de cuisinier. Pourtant, une émission de télévision, c’est très bien, mais ça ne dure que quelques heures. Être cuisinier,  cela se fabrique tout au long d’une carrière, d’une vie. La cuisine, comme la salle, et comme la sommellerie, ce sont avant tout de longs apprentissages et de longues années de pratique du métier. Alors, quelqu’un peut être un très bon animateur, mais pas forcément un bon cuisinier. On ne demande d’ailleurs pas à un cuisinier d’être un animateur de show ou de spectacle.»

« Le col bleu, blanc, rouge, de MOF, vous ne le voyez pas car vous avez la tête au-dessus», Jean-François Girardin, Société des Meilleurs Ouvriers de France (2/3)

Dans notre dernier article, nous vous présentions le parcours de Jean-François Girardin, président du concours du Meilleur Apprenti de France. Jean-François Girardin est aussi vice-président national de la Société Nationale des Meilleurs Ouvriers de France : nous lui avons donc demandé ce que représentait pour lui le titre de MOF.

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« Meilleur Ouvrier de France est un diplôme d’état, de niveau Bac + deux ans, qui va être prochainement réévalué. Pour se présenter au concours du Meilleur Ouvrier de France, il faut être de nationalité française ou avoir travaillé plus de cinq années en France. Il faut aussi avoir plus de 25 ans. Depuis quelques années, nous avons connu une véritable explosion des inscriptions au concours. Cette année, nous avons donc décidé d’instaurer des présélections, ce qui nous permet d’alléger les sélections.

Il existe donc trois niveaux dans le parcours du concours de Meilleur Ouvrier de France : présélections, sélections régionales et enfin concours national. Être Meilleur Ouvrier de France, c’est être reconnu dans sa profession, reconnu par ses pairs. Le concours est difficile ; le réussir, c’est entrer dans un groupe de référence, celui des meilleurs ouvriers artisans chef cuisinier. Il est certain qu’être MOF permet de faire ressortir votre candidature quand vous êtes à la recherche d’un emploi. Et pour une entreprise, un restaurant, avoir un MOF au sein de son équipe vous donne une certaine caution en matière de compétences culinaires.

Beaucoup de MOF occupent des postes importants et valorisants dans des secteurs comme l’industrie agro-alimentaire, l’enseignement, la restauration. Je trouve toutefois que les MOF ne sont pas assez représentés dans la restauration collective, qui pourrait avoir en avoir besoin, au niveau de la direction.

Pour les restaurants hors de France, être MOF est représentatif d’une tradition et d’une qualité du travail à la française, que ce soit en cuisine, comme maitre d’hôtel ou en sommellerie.
Toutefois, vous savez, quand vous possédez le col bleu, blanc, rouge, de MOF, vous ne le voyez pas car vous avez la tête au-dessus ! Les lauréats de ce concours sont surtout observés. Une fois que vous êtes MOF, il faut se montrer tout le temps à la hauteur de ce titre. Je pense d’ailleurs que c’est plus une responsabilité qu’une gloire.»

A suivre :

– « On ne demande pas à un cuisinier d’être un animateur de show », Jean-François Girardin nous fait part de ses observations issues de son travail auprès des jeunes et candidats au titre de Meilleur Apprenti de France. (3/3)

«Chez les compagnons, il existe une sorte de passage de témoin entre générations», Jean-François Girardin, Société Nationale des Meilleures Ouvriers de France (1/3).

Jean François Girardin est vice-président national de la Société Nationale des Meilleurs Ouvriers de France. Apprenti dès l’âge de 15 ans à La Vieille Auberge de Pouilly-sur-Loire (restaurant aujourd’hui disparu), il a ensuite travaillé au Carlton de Cannes, au Métropole de Monte Carlo ainsi qu’à l’Intercontinental, avant de devenir chef de cuisine à l’hôtel Ritz de Paris, de 1980 à 2012. Lors de notre entretien, nous lui avons demandé de nous parler de sa formation, débutée en 1969, et des rencontres marquantes de son parcours.

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« Après mon apprentissage, je suis devenu compagnon à mon arrivée sur la Côte d’Azur. En fait, je me suis rendu compte qu’il me manquait pas mal de culture générale, et le compagnonnage a été le moyen pour moi de fréquenter des gens venant d’horizons différents et de suivre des cours pour me remettre à niveau sur beaucoup de matières, comme par exemple l’orthographe… Le contact avec les compagnons m’a permis de découvrir et d’apprendre beaucoup de choses. Car, pour gravir les échelons du compagnonnage, il faut beaucoup travailler et compléter sans cesse sa formation initiale.

Par contre, ma formation pour l’encadrement, la gestion des personnels et la gestion comptable, je la dois essentiellement aux compléments de formation que j’ai reçu à mon arrivé à l’Intercontinental. A l’époque, cet hôtel appartenait à la Pan Am, une compagnie aérienne qui assurait un parcours de formation continue à ses employés.

Parmi les personnes qui ont été déterminantes dans ma formation, je pense bien sûr d’abord à mon maître d’apprentissage, Monsieur Désiré Leclercq, aujourd’hui décédé.

Il y a eu aussi un chef du Carlton de Cannes, Monsieur Charles Bonge. Au Carlton, les jeunes cuisiniers faisaient les gardes, et nous avions pas mal de commandes. Or, Monsieur Bonge était toujours présent pour nous guider et nous montrer, il s’occupait avec attention de nous autres, les jeunes. Nous avions, si nous le désirions, la possibilité de discuter et d’apprendre avec lui. C’est ce que j’ai fait. C’est lui qui m’a montré ce qu’était le travail de chef de cuisine : savoir tout faire et être respectueux de tous.

Enfin, je pense aussi à mon parrain de compagnonnage, Charles Janon. Il m’a constamment épaulé, chaque fois que je le sollicité. C’est quelqu’un qui a su mettre le doigt sur mes lacunes et qui m’a ainsi permis d’en prendre conscience. C’est lui qui m’a poussé à travailler mon orthographe ; grâce à lui, je me suis rendu compte de l’importance de savoir s’exprimer par écrit. Je l’ai connu tout jeune retraité de l’Intercontinental de Paris, où j’allais travailler quelques années plus tard. Il s’était retiré à Nice. Un très bel exemple de transmission entre compagnons. Une sorte de passage de témoin entre générations, un échange d’expériences, de parcours professionnel.»

A suivre :

– « Le col bleu, blanc, rouge, de MOF, vous ne le voyez pas car vous avez la tête au-dessus», Jean-François Girardin revient sur les enjeux du titre de Meilleur Ouvrier de France. (2/3)

– « On ne demande pas à un cuisinier d’être un animateur de show », Jean-François Girardin nous fait part de ses observations issues de son travail auprès des jeunes et candidats au titre de Meilleur Apprenti de France. (3/3)

«C’est l’humilité qui doit diriger le travail», Fabien Lefebvre, MOF, restaurant l’Octopus, Béziers (3/3).

Dernier volet du parcours de Fabien Lefebvre, dont nous avons souhaité vous restituer le témoignage dans son intégralité. Après sa formation (1/3)  et ses expériences professionnelles (2/3) , nous vous proposons aujourd’hui le récit de sa rencontre avec Eric Fréchon, l’obtention du titre de MOF et son retour à Béziers pour l’ouverture de son restaurant, l’Octopus.

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« Après le départ de Michel Del Burgo, c’est Eric Fréchon qui a pris la direction des cuisines du Bristol. Il m’a confié le poste de second ; je suis resté cinq ans à ses côtés.

La première chose qu’il m’a apprise, c’est le respect du client. Pour lui, ce qu’il faut comprendre, c’est que le client dépense de l’argent et qu’il veut en retour du travail, dans l’assiette et en service. Il faut tendre à toujours faire une cuisine élégante et équilibrée, et surtout, n’être jamais vraiment satisfait de soi-même. C’est l’humilité qui doit diriger le travail. En 2001, nous décrochons une deuxième étoile.

Monsieur Fréchon ne m’a jamais poussé à devenir Meilleur Ouvrier de France, mais il m’a permis de me préparer au concours et d’arriver au MOF. Moi-même, a priori, je ne suis pas fan des concours. Mais voilà qu’en 1999, un des sous-chefs du Bristol, Franck Leroy, a préparé le MOF. Bien évidemment, je l’ai aidé dans ses essais et ses répétitions. Quand il a décroché le titre, je me suis demandé pourquoi je ne m’inscrirais pas moi aussi à des concours de cuisine. J’ai commencé par le prix Taittinger, en 2000. Je l’ai remporté dès ma première participation. Il y avait une grosse émulation entre les seconds du Bristol – même si monsieur Fréchon nous ramenait vite sur terre quand nous nous enflammions un peu trop. Les quatre sous-chefs préparaient et gagnaient des concours. C’est en 2003 que nous avons préparé le MOF et que je suis devenu Meilleur Ouvrier de France.

Le MOF, c’est très personnel pour moi. C’est un jalon, un point de départ et une manière de prendre conscience de l’immensité de la technique culinaire. Quand tu es MOF, chaque fois que tu cuisines, les gens attendent quelque chose d’exceptionnel. C’est un titre, on ne peut pas te l’enlever… Et puis, il faut le dire, c’est aussi un argument de poids auprès des banques, quand tu t’installes. Ce que j’ai décidé de faire en 2004.

J’ai quitté Paris pour retourner à Béziers. Après 6 mois de travaux, nous avons ouvert en janvier 2005. Depuis, ça marche vraiment très bien. Rachel, mon épouse, s’occupe des vins ; Laurent, notre associé, est en salle. Ce qui est formidable, c’est que nous avons été remarqués par des guides très différents, du guide Michelin (qui nous a accordé une étoile en mars 2008) au guide du Fooding.

Pourquoi l’Octopus ? Au début de l’aventure, nous étions quatre associés, huit bras comme un céphalopode.»

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A lire :
– « La cuisine c’est plus compliqué que juste la mise en route de forces de travail», Fabien Lefebvre, MOF, restaurant l’Octopus, Beziers (1/3).
– «Tu apprends le métier, mais tu l’apprends de force», Fabien Lefebvre, MOF, restaurant l’Octopus, Beziers (2/3).

A voir : 
– Ambiance de service : les cuisines de Fabien Lefebvre [vidéo]