«Il faut laisser du temps au temps, et souvent remettre en question ce que l’on sait, ce que l’on fait», Christophe Aribert, Le Grand Hôtel, Uriage-les-Bains (2/3).

Dans notre dernier entretien, consacré au récit de parcours de Christophe Aribert, celui-ci nous confiât avoir été particulièrement touché par l’humilité de Christian Constant, qu’il a connu à l’hôtel de Crillon. Aujourd’hui à la tête des cuisines du Grand-Hôtel d’Uriage-les-Bains, Christophe Aribert nous parle des valeurs du métier de cuisinier, qu’il essaie à son tour de transmettre aux jeunes en alternance chez lui.

 CHRISTOPHE ARIBERT

«J’ai régulièrement des stagiaires venant du lycée hôtelier de Tain-l’Hermitage, de l’Institut Paul Bocuse, du lycée polyvalent du Sacré Coeur de Grenoble, du lycée des métiers de l’hôtellerie et du tourisme de Grenoble. Je prends aussi pas mal de stagiaires étrangers.

Dans l’attitude à avoir avec les jeunes qui viennent en formation chez nous, je crois que le plus important, c’est la sincérité. J’essaie toujours d’être dans de bonnes dispositions avec eux pour que nous puissions nous parler et échanger. C’est donnant-donnant : quand je dis « sincère », c’est que je n’enjolive pas, je ne travestis pas ce qu’est notre métier. J’attends de ces jeunes en formation qu’ils fassent preuve d’une certaine abnégation.

Vous savez, quand vous avez 15-20 ans, vous avez souvent de petits problèmes d’ego, une volonté d’exister, d’être reconnu … J’essaie de bien dissocier personnalité et travail. Il existe une réelle difficulté chez ces jeunes à se remettre en question. Il faut adapter son discours à chacun. En fait, il faut à la fois un management d’équipe et quelque chose, une attention peut-être, pour s’adapter à chaque personne.

Je l’avoue, je pense être très dur et vraiment exigent sur la qualité du travail, la tenue, la propreté, l’abnégation nécessaire à un service en cuisine, la curiosité, l’envie et l’engagement dans le métier. En fait, toutes ces choses qui vous permettent de venir cuisinier. J’insiste aussi auprès de ces jeunes pour leur faire comprendre que le temps de l’apprentissage est indispensable. Il faut laisser du temps au temps, et souvent remettre en question ce que l’on sait, ce que l’on fait. D’où l’importance de goûter systématiquement les produits que l’on travaille, les résultats intermédiaires d’une préparation et les plats finis. Cela nous permet de savoir où nous en sommes.»

A suivre : 
– «Les jeunes veulent être connus avant d’être reconnus», Christophe Aribert revient sur les difficultés de la transmission du métier de cuisinier (3/3).

«La cuisine m’a rattrapé malgré moi», Christophe Aribert, Le Grand Hôtel, Uriage-les-Bains (1/3).

Christophe Aribert est à la tête du restaurant Les Terrasses au Grand Hôtel d’Uriage-les-Bains en Isère. Couronné de 2 étoiles au guide Michelin et de 4 toques au guide Gault&Millau, il nous raconte son parcours et nous parles des personnes l’ont influencé durant sa formation.

 Christophe Aribert au passe

«J’ai l’impression que je suis devenu cuisinier parce que mon père était cuisinier, mon grand-père boulanger et mon arrière-grand-père paysan. Mes repères, ce sont le pain craquant chez le grand-père, la soupe chez l’arrière-grand-père, le bœuf bourguignon et le gratin dauphinois chez mon père.

J’ai longtemps voulu faire autre chose, mais la cuisine m’a rattrapé malgré moi. Je suis originaire du Vercors et bien évidemment la compétition de ski est quelque chose qui m’attirait. J’étais plus souvent sur les pistes que dans les salles de cours. Et puis, suite à une blessure, j’ai décidé de m’inscrire à l’école hôtelière – et au début, il faut bien l’avouer, c’était plus par dépit que par envie.

Je suis allé à l’école hôtelière de Grenoble. J’ai fait un CAP en 3 ans. C’était une bonne formation pour apprendre, il y avait beaucoup de cuisine en cours, le tout entrecoupé de stages. Je me souviens en particulier d’avoir été en alternance chez Christian Poulet, qui était installé à la Tour-du-Pin. Je travaillais aussi un peu chez mon père. Mais comme je voulais vraiment toucher à tous les corps de métier en lien avec la cuisine, je me suis débrouillé pour bosser chez des poissonniers et des bouchers, pour connaître les produits et les techniques de base.

Pour parler de ceux qui m’ont marqué pendant mon parcours, évidemment il y en a beaucoup, mais j’ai envie de citer Christian Constant. Il m’a vraiment marqué par son humilité et sa manière d’être au quotidien. Il nous laissait nous exprimer, c’était sa façon d’être avec sa brigade, en développant un rapport humain subtil, profond et sincère. Cela nous permettait de prendre des responsabilités et de nous mettre en bonnes conditions pour travailler et être productifs.

Monsieur Constant côtoyait le monde entier, c’était en 1995/1996, sa dernière année à l’hôtel de Crillon, mais il restait lui-même et les pieds sur terre avec nous. A cette époque, j’étais chef de partie au poisson.

Je l’ai croisé dans une soirée de chefs il n’y a pas longtemps. C’est vraiment quelqu’un qui s’intéresse toujours à toi, à ce que tu fais et à ce que tu deviens.»

A suivre : 
– «Il faut laisser du temps au temps, et souvent remettre en question ce que l’on sait, ce que l’on fait», Christophe Aribert nous parle des valeurs à transmettre aux jeunes qu’il accueille en formation (2/3).
– «Les jeunes veulent être connus avant d’être reconnus», Christophe Aribert revient sur les difficultés de la transmission du métier de cuisinier (3/3).

«Tu apprends le métier, mais tu l’apprends de force», Fabien Lefebvre, MOF, restaurant l’Octopus, Beziers (2/3).

Dans notre dernier article, nous vous proposions de découvrir le premier volet du parcours de Fabien Lefebvre. Après sa formation à l’école, il nous parle aujourd’hui de ses expériences professionnelles, et des rencontres qui l’ont amené à ouvrir son propre restaurant en 2005,  l’Octopus, à Béziers.

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« Après mon expérience dans le groupe Accord, je suis revenu en cuisine : j’ai intégré le Château de Lignan à Lignan-sur-Orb (à 7 km de Béziers) avec un chef qui est un peu poète, Robert Abraham. J’y ai travaillé des produits que je n’ai plus jamais travaillés depuis, comme le pélargonium, et aussi beaucoup d’épices. Je suis resté un an.

Ensuite, je suis entré au Clos de la Violette, à Aix en Provence, qui avait une étoile. Je suis chef de partie saucier. Le restaurant était dirigé par un très bon chef de cuisine provençale, j’en garde un bon souvenir. C’est là que l’on m’a proposé une place de chef au San Pedro, à St Raphaël. J’y ai passé un an. A l’issu de cette année, j’ai intégré une très belle maison de l’époque, le Juana, où Christian Morisset avait deux étoiles. Là aussi, j’ai été chef de partie saucier. Une expérience très dure, avec beaucoup de travail et de tension. Monsieur Morisset est un très bon formateur : il t’apprend à travailler et te donne accès à une très grande diversité de techniques. Tu apprends le métier, mais tu l’apprends de force. Je crois qu’à côté, la Légion Etrangère, c’est un peu les vacances ! Pourtant, il faut aussi avouer que le cuisinier qui sort de là est affuté de chez affuté… Quand je suis parti du Juana, sur trois CV envoyés, les trois ont été acceptés, preuve que les personnels qui sortaient de cette maison avaient la cote.

De là, je suis parti au Crillon. Malheureusement, Christian Constant, avec qui je voulais travailler, était sur le départ – je l’ai appris sur place. Avec un chef qui part et un autre qui arrive, l’ambiance n’était pas au top, surtout entre les deux chefs. Je suis resté à peine un mois, avant de repartir pour rejoindre l’ancien second du Juana à Baulieu-sur-mer, Jérôme Coustillas. Il travaille aujourd’hui en Russie. Nous avons plutôt fait du bon travail pendant un an, mais là encore c’était un peu dur.

C’est à cette époque que je rencontre Alain Ducasse à Monaco. Après un long un entretien, il me pousse à aller à Paris, car il trouve que mon CV est très typé sud, Midi. Selon lui, je dois absolument compléter ma formation dans de grandes maisons parisiennes. Je pars donc faire un court séjour dans un restaurant parisien de monsieur Ducasse. Au bout de trois jours, je rencontre un ami qui me conseille d’aller au Bristol. C’est ainsi que Michel Del Burgo m’embauche en janvier 1998 comme chef de partie aux légumes. Je vais passer presque deux ans avec lui.»

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Prochaine publication :
– « C’est l’humilité qui doit diriger le travail » : Fabien Lefebvre revient sur ses années au Bristol avec Eric Fréchon et l’obtention du titre de MOF avant l’ouverture de l’Octopus (3/3).

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« Ce n’est pas vrai que la cuisine est ludique », Yves Camdeborde, le Relais Saint Germain (Paris).

A la fin de sa seconde C, Yves Camdeborde aurait pu faire n’importe quel CAP, pourvu qu’il y gagne la liberté, l’indépendance et un petit salaire. A l’époque, les enseignants lui présentent la formation CAP comme une voie de garage, un chemin réservé à ceux qui ne peuvent pas faire autre chose. Pourtant, le choix du CAP cuisine, qu’il prépare à Pau, va le construire humainement et professionnellement. Son père le pousse à partir à Paris pour entrer au Ritz, dans l’équipe de Guy Legay. – Un chef qui a marqué dans son parcours, notamment parce qu’il a su le valoriser. « J’ai compris que mon petit travail au sein de la brigade avait son importance. Je pouvais ainsi évoluer petit à petit pour prendre de nouvelles responsabilités », témoigne Yves Camdeborde.

Aujourd’hui, il gère le Relais Saint Germain à Paris. Yves Camdeborde est aussi très connu pour sa participation à l’émission Masterchef sur TF1. Nous l’avons interrogé sur les bénéfices et limites de la médiatisation de la cuisine et du métier de chef.

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«La dernière fois que je suis allé au BHV (Bazar de l’Hôtel de Ville, grand magasin parisien ndlr) j’ai pris peur. Il n’y avait que des chefs qui vendaient de tout et là, je me suis dit que nous allions trop loin. Je m’inquiète de ça. Le côté médiatique, je ne peux pas dire que je ne l’aime pas, car c’est une reconnaissance, une fierté pour un CAP peut devenir vedette de télévision. Ça me fait quand même bien rire, qu’on vienne me chercher avec mon CAP de cuisine.

Malheureusement, nous déformons la réalité, par nos activités à la TV ou sur n’importe quel média. Nous ne parlons que du bon coté, et nous oublions de parler de la longueur de l’apprentissage. Nous avons un vrai problème de message à destination des jeunes : non, ce n’est pas en faisant deux mois de télévision que l’on devient cuisinier. Le problème, c’est que la télévision ne veut pas entendre ce genre de discours. Tous ces gens de 25 à 30 ans, qui se mettent à la cuisine, je n’y crois pas réellement. Je pense que nous ne donnons pas la vraie image de notre métier.

Par contre, c’est vrai que grâce à la télévision, nous donnons aux jeunes et à leurs parents l’image d’un métier honorable et respectable, celui de cuisinier. Nous avons créé, dans une certaine mesure, une aura nouvelle pour ce métier. Depuis le début de MasterChef il y a trois ans, je reçois chaque année en juin une dizaine de demandes d’apprentissage de la part de jeunes de milieux sociaux extrêmement variés, dont des fils de médecin ou d’avocat. Ça, c’est un réel changement.

Face à l’emploi et la formation il y a une vraie révolution à faire. Si nous avons des problèmes pour trouver des employés et des apprentis, nous en sommes en partie fautifs, nous, les chefs et restaurateurs : il y a trop de travail et dans des mauvaises conditions. Il faut changer de mentalité. J’ai l’impression d’avoir connu l’âge de pierre du métier… Nous en avons souffert physiquement et moralement, nous n’avons pas le droit de faire subir ça à nos apprentis. Aujourd’hui, il faut bien évidemment payer les heures supplémentaires, et respecter chacun.

Victoire, par exemple, une jeune fille qui a fait son CAP chez Christian Constant, puis un Bac Pro chez moi : ses parents nous disent qu’elle est épanouie. Parce que nous la respectons, comme personne, comme employée et comme apprenante.

Ce n’est pas vrai que la cuisine est ludique. Eplucher une carotte ça peut être amusant, mais en éplucher 10 kg, ce n’est pas amusant. Faire la cuisine dans un restaurant, c’est aussi se donner du mal, car il faut bosser dur.

Il faut replacer le travail de cuisinier comme un métier manuel noble, sans forcément parler de médias ou de « création d’artiste ». Un cuisinier doit avant tout faire à manger, et ça, c’est tous les jours. La télévision n’est pas dangereuse si nous restons des cuisiniers, conscients de nos responsabilités.»